HARIDWAR
INDE
RÉCRÉATION SPIRITUELLE
31 mai 2022
C’est donc en train, et à l’heure, que nous arrivons à Haridwar. Si je souligne le caractère ponctuel, c’est tout simplement car ça ne m’était jamais arrivé en Inde...
Il y a énormément de monde à la sortie de la gare. Dans un brouhaha auquel nous sommes désormais habitués, nous nous faufilons tant bien que mal entre les tuk-tuk, les rickshaws, les vaches, et les centaines de personnes, tentant, comme nous, de s’extraire de cette concentration massive humaine.
Nous parvenons enfin à une ruelle plus calme qui va nous mener à notre hôtel, réservé la veille. “Sorry you’re not on the reservation list”, nous informe le réceptionniste. Étonnant car nous avons bien une confirmation de réservation...
“Wait, wait, have a sit” nous répond-il après avoir lu notre mail de confirmation auquel il n’a rien compris puisqu’il est en français.
10 minutes plus tard, nous avons bien une chambre. Nous n’avons pas compris grand-chose mais l’essentiel est là. Et c’est une bonne chose car il y a énormément de monde à Haridwar pendant cette période de vacances. On nous a parlé de 40 millions de personnes la veille de notre arrivée...
Allez, direction les ghâts (quais), allons nous imprégner de l’ambiance de cette ville sacrée.
Ici tout semble avoir été conçu pour profiter du Gange. Nous sommes à environ 200km de sa source. L’eau est de couleur verte olive, un peu blanchâtre, elle a l’air propre. D’autant plus que le courant y est très fort!
RÉCIT DE VOYAGE
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De chaque côté du fleuve les quais pénètrent dans l’eau sous forme de petites marches en brique permettant d’accéder au Gange comme on accèderait au petit bain d’une piscine. Mais ce dernier est plus profond. Alors on y a installé, dans l’eau à 1 mètre du quai, une barrière métallique de sécurité parallèle.
Il y a beaucoup de monde dans l’eau. Il faut dire qu’ici aussi il fait très chaud (environ 40 degrés). Dans l’eau, ça barbotte, ça discute, ça rigole.
Certains sautent des ponts et se laissent emporter par le courant avant d’entamer une nage sportive pour rejoindre la rive.
Des vrais airs de base de loisir. Et c’est bien ça dont il est question pour tous ces indiens qui se détendent et s’amusent dans les eaux de ce fleuve sacré. Les vacances!
Nous avançons sur la rive droite en direction de la portion de ghât théoriquement la plus animée, Har Ki Pauri. Plus nous nous en approchons, plus la densité humaine s’accroît. Allongés et assis à même le sol ou sur de mini bâches en plastique (car le sol est très chaud), les familles indiennes sont de plus en plus nombreuses.
Beaucoup de jeunes enfants, des bébés même, ont la tête rasée. Nous assistons même à une tonte en directe. Ça fait drôle d’ailleurs. Ces coiffeurs sans scrupules ne sont autres que les parents.
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Les cheveux de l’enfant représentent le lien à ses vies antérieures, jugées indésirables du point du vue du karma. Il doit donc en être libéré avant l’âge de 3 ans. Cela marque également une rupture avec la dépendance maternelle. C’est un des rites de la religion hindoue.
Une petite fille que j’ai pu prendre en photo n’avait, elle, que la partie avant du crâne, rasée. Nous ignorons pourquoi.
Au milieu de toute cette foule il n’est parfois pas évident de distinguer les hommes saints (les Babas), des mendiants. Les Babas (également appelés Sadhus) ont choisi la voie de l’élévation spirituelle. Un choix lourd de conséquences puisqu’ils rompent les liens avec leur vie antérieure. Un Sadhu n’a alors plus aucune attache, ni familiale, ni matérielle. Il rompt également avec son identité (nom, âge etc).
Parfois, les Naga Babas (Babas nus) s’enduisent le corps de cendres blanches. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ceux qui sont vêtus de tunique de couleur orange sont facilement identifiables. Pour les autres, c’est plus compliqué. “Simples” mendiants ? Hommes saints ? La nuance n’est pas toujours perceptible. En effet, les hommes saints ont également recours à la mendicité.
Malgré tout, ces derniers sont respectés des hindous, parfois même craints. Ceux qui se sont élevés dans la hiérarchie sâdhu, deviennent de vrais gurus, et par conséquent, ils sont influents.
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Le lendemain, nous sommes abordés par l’un d’eux en même temps qu’un jeune indien qui souhaitait prendre un selfie avec nous. D’un simple signe de la main, sans même le regarder, le Baba lui ordonne de partir. Le gamin s’exécute sans broncher. Le Baba a la priorité.
Il est vêtu d’un simple morceau de tissu à l’antre jambe, et doté d’une barbe blanche, si longue, qu’il pourrait l’utiliser comme bout de tissu... Nous échangeons avec lui sans interprète, son niveau d’anglais est bon. Il a lui-même planté, il y a bien longtemps, les 4 arbres qui nous entourent. Il y a aménagé son campement et son espace de recueillement. Il nous montre les déesses qui y sont peintes puis, il appelle quelqu’un.
Une jeune femme arrive, c’est une blanche. La seule occidentale que nous ayons vue au cours de notre séjour à Haridwar. Nous l’avions aperçu la veille en pleine méditation au pied d’un arbre sur ce même quai. Elle nous parle peu mais nous devinons qu’elle est en stage initiatique avec son “maître sadhu”. Elle reste deux mois à Haridwar et possède la double nationalité, russe et... ukrainienne.
Avant de nous quitter, le Naga Baba nous invite à noter son nom pour aller regarder des vidéos le concernant sur YouTube. Nous sommes allés voir. Plus de 3 millions de vues...
Cette rencontre ressemblait fortement à une approche de recrutement. Peu importe, elle fut surprenante et intéressante.
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Pour l’anecdote, le gamin qui n’avait pas pu prendre son selfie avec nous, nous attendait, 20 minutes plus tard, quelques mètres plus loin. Persévérance et patience... c’est peut-être lui que le Naga Baba aurait dû tenter de recruter.
Sur les ghâts, au-dessus de la foule, lévitent de grands bâtons auquel sont accrochés de petits sacs roses. Ce sont les vendeurs de barbes à papa! Une couleur de plus à la toile déjà très colorée d’Haridwar.
De nombreux autres vendeurs ambulants en tous genres se fraient un passage, en annonçant haut et fort ce qu’ils vendent (boissons, fruits, bijoux, vêtements, nourriture, peintures divines sur le front, offrandes à jeter dans le Gange).
On nous propose également à plusieurs reprises de nous nettoyer les oreilles! C’est gentil mais non merci... surtout que ce sont les plus insistants.
Ma barbe, elle aussi, donne quelques idées aux barbiers.
Et puis... il y a les photos... de plus en plus de photos. Comme à la mosquée de Delhi, il devient difficile d’avancer sans faire l’objet d’une demande de selfie. A l’inverse de Delhi, où les demandes étaient très respectueuses et plutôt familiales, ici le profil de demandeur est différent mais souvent le même. Des groupes de jeunes hommes en vacances qui souhaitent être pris en photo avec nous, enfin surtout avec Pauline, pour poster immédiatement sur les réseaux sociaux. On ne nous demande plus notre avis.
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Nous ne sommes plus dans l’échange mais dans le profit, dans l’unique recherche du bénéfice social que va apporter ce selfie. Ça en est presque pénible.
Les réseaux sociaux ont bel et bien contaminé le monde entier...
De mon côté, entre deux selfies, j’essaie de prendre quelques clichés. Quasiment tout, autour de nous, est sujet à être photographié. J’essaie notamment d’obtenir de la part de quelques Babas, la permission de leur tirer le portrait. La plupart du temps, ils acceptent sans contrepartie.
Sur un pont ralliant les deux rives, je croise le regard d’une femme. Fait plus rare, c’est une femme sadhu (une Baba). Protégée par le foulard orange qui lui couvre la tête, son regard est très sombre.
L’expression que je lis sur le visage de cette femme renvoie à la froideur, à la dureté. Elle a quelque chose de très fort dans son attitude. À mon avis, je vais me faire rembarrer. Je tente on verra bien.
Une chose est sûre, je ne suis pas près d’oublier l’illumination de son visage et le magnifique sourire à 3 dents, qu’elle m’a offert, en guise d’approbation.
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Haridwar est une des plus importantes villes sacrées d’Inde. Elle fait notamment partie des 4 villes qui accueillent à tour de rôle la fameuse Kumbh Mela (plus grand rassemblement humain et religieux au monde).
Ici on trouve uniquement des plats végétariens et il n’y a pas d’alcool. Même la cigarette est proscrite à de nombreux endroits. Haridwar a des airs de parc d’attraction, entremêlée de ponts oranges, permettant de passer d’une rive à l’autre. Les bâtiments et temples qui bordent le fleuve sacré sont quasiment tous colorés. Une immense fourche, symbole de la dévotion hindoue, ainsi que de grandes statues à l’effigie des dieux tant adulés ici, s’érigent comme pour veiller sur le peuple.
En fin d’après-midi, la foule se presse sur le Ghât principal, Har Ki Pauri, et sur celui d’en face, au pied de la Clock Tower. C’est ici qu’a lieu, chaque soir, la cérémonie du feu et des lumières. Certains nous diront que ce soir-là, nous étions 200.000.
Plus que la cérémonie en elle-même qui ne dure pas plus de 10 minutes, c’est tout le cérémonial en amont qui est réellement impressionnant. Voir toute cette foule tenter de prendre place est un spectacle en soi. Nous parvenons par miracle à nous retrouver quasiment aux premières loges. L’avantage d’être occidental dans ce genre de situations... les indiens tentent généralement de nous aider du mieux qu’ils peuvent.
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Les immenses projecteurs s’allument pour éclairer les quais. Les haut-parleurs retransmettent des chants et prières que le public ne manque pas de faire résonner, les bras levés, en les concluant, en cœur, d’un puissant “ahhhehhh”.
Beaucoup se mettent à l’eau. Cette fois, l’objectif n’est plus la simple baignade rafraîchissante et amusante observée jusqu’à maintenant. L’ambiance vacances a disparu au profit d’immersions protocolaires et purificatrices.
Ça y est, les ablutions ont commencé, par centaines. Chaque fidèle prononce, les mains jointes, les mantras appropriés. S’en suivent au moins 3 immersions complètes. Le Gange emporte avec lui les bougies, pétales de fleurs et autres offrandes (noix de coco notamment?!) délicatement déposées à la surface par un peuple spirituellement transcendé.
Ces offrandes sont parfois réalisées en couple : des scènes particulièrement touchantes si l’on y intègre une réflexion sur la place de la femme au sein de la société indienne.
Il est temps de sortir de l’eau, la cérémonie va commencer.
L’affluence est à son comble. De grands flambeaux sont allumés au bord de l’eau. De jeunes fidèles vêtus en orange les font tourner de façon circulaire. Le Gange, lui, se charge d’amplifier leur symbolique par une réflexion scintillante.
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La cérémonie touche déjà à sa fin. Mais que cette ferveur nous laisse rêveurs!
Certains quittent les quais pendant que d’autres continuent d’illuminer le Gange de bougies flottantes.
Sur le retour, pour rejoindre notre hôtel nous devons traverser le bazar, comme des milliers d’autres personnes... C’est un peu comme essayer de rejoindre le métro de la Porte d’Auteuil après un match au Parc des Princes, les rickshaws et les vaches en plus.
Le bazar a l’air sympa, les bijoux brillent, les vêtements sont jolis, mais on repassera demain...
Essayons plutôt de trouver un endroit où manger.
Au cours de nos différentes expériences culinaires, nous nous familiarisons également avec les gros rots de fin de repas. Nous le savons maintenant, mais nous sommes toujours surpris et amusés de les entendre. Pauline l’est d’autant plus quand je me prête au jeu...
Ce sont sur ces notes très spirituelles que s’achève notre découverte d’Haridwar... Une expérience intense que seule l’Inde peut offrir.
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